Entrepôts de Marienburg

Arduilanar ignora l'éclat de haine qui luisait dans les prunelles pourpres d'Ilithas.

"Que faisons-nous, maintenant ? Il serait temps de débarasser Marienburg de cette puanteur sur pied, je n'en puis plus."

Sentant le danger aux paroles de l'elfe, le possédé puant se mit à courir vers la sortie de l'entrepôt. Mais c'était sans compter le haut degré de décomposition dans sa jambe droite.

Sans trop insister en anatomie, disons que le tendon (rotulien) d'un muscle de la jambe (extenseur) s'est, telle une limace à court de salive, décroché du muscle. L'inutilité du muscle comme conséquence, et un maintien difficile de la posture verticale.

Bref, Bänrofl s'écroula et se mit à fuir en rampant, le pantalon en toile qu'il portait formant quelques vagues au gré des fortes flatulences de l'horrible monsieur.

Un liquide inquiétant se répandait derrière lui, de sorte qu'il lui était impossible de se cacher.

"Nous pourrions laisser le Mon'keigh s'en charger, l'odeur ne le dérangera pas outre-mesure." Proposa Albericus sans vraiment y croire. Une légère brise atteint soudain le groupe et le vampire dut développer de grands efforts pour ne pas rendre tout ce qu'il avait dans l'estomac. N'y tenant plus, il cessa tout simplement de respirer, priant pour que personne ne lui pose la moindre question l'obligeant à répondre.

Peut-être me voient-ils vert, petit et hurlant ? Et si j'étais finalement devenu vert ?

Il ôta un gant et le remit aussitôt, rassuré.
Mais pas moins pensif.

Après un bref regard interrogateur et un rien suspicieux sur les deux elfes, il conclut qu'il valait sans doute mieux ne pas s'en formaliser. Après tout, ils étaient excentriques.

"Me charger ? De l'odeur ?"

L'elfe fronça les narines en une moue de dégoût.
"A cette allure-là, nous aurons tous le temps de finir asphyxié. Backe, si tu ne te dépêches pas, c'est moi qui m'en charge. A distance, de préférence."

Je ne pourrais rien tirer de cet individu...

Aerhon continuait d'observer paisiblement, non sans éviter de respirer à plein poumons. Les 3 compagnons l'avaient vus, mais ne tentaient rien.

Il n'y a plus rien à voir...j'attaquerais la nuit venue...

Il fit demi-tour et s'effonça dans les ténèbres de la ruelle, sous l'oeil méfiant et remplit de haine du vampire...

Lui qui s'en charge ? A distance ? Un innocent !

Ah, non, cela ne se passerait pas comme ça ! Il ne le laisserait pas faire.

"Je trouverai bien le moyen d'arranger cela de façon plus convenable", déclara-t-il les sourcils froncés, d'une voix qui se voulait sévère.

Il se retourna vivement, pour se diriger vers l'entrepôt, où avait été aperçue l'étrange pestiféré. Il s'engagea dans l'espace confiné, à l'atmosphère singulièrement épaissie. L'odeur était inédite.
Vraiment.

Suivant une traînée liquide et peu avenante qui serpentait au sol, il atteignit sa cible, non sans un sursaut de surprise. L'homme se décomposait sous ses yeux. Pourtant, il était indéniable qu'il vivait toujours. Quelle étrange sensation cela devait vous faire.

Il fut accueilli par une sorte de hoquet visqueux et gras. Ne sachant trop comment s'adresser au personnage rampant, il demanda, très civilement, en gardant toutefois quelque distance - par respect, pourrait-il prétendre :
"Monsieur ? Un elfe, ou même, sans trop m'avancer, deux elfes, là-bas, se sont mis en tête de vous tuer. Alors, pardonnez moi, mais il y a sans doute une raison. Qu'elle soit bonne ou non Si vous permettez, je pense qu'il serait honnête de vous relevez et de confronter votre vision de la chose..."

Il était pâle. Cela, on pouvait le mettre sur le coup de l'odeur.
Pourtant, il n'avait jamais haï quiconque pour son parfum. Le plus naturellement du monde, il empoigna son épée.

Voyant que les choses allaient mal se terminer pour lui, Bänrolf essaya de se lever sur sa jambe valide. L'humain s'avançait vers lui, une épée dans la main. Il avait l'impression de ne voir que l'épée, elle luisait devant lui et son malaise s'accentuait. Alors qu'il marchait en boitant l'homme au chapeau lui barra la route.

Le possédé vomit sur le sol. Une grande flaque. Elle sentait la peur, ou du moins les restes de son déjeuner. Son pied glissa alors dans le liquide immonde et il tomba lourdement en avant, pour s'empaler sur l'épée de Backe.


"Bouarghh !"

Ainsi mouru Bänrolf, et ainsi le démon qui l'habitait s'en retourna au Royaume de la Pestilence.

Il lui sembla que jamais il n'avait éprouvé tant de bonheur. Il vibrait littéralement d'allégresse. Il aurait hurlé de joie s'il n'avait fallu pour cela aspirer une grande bouffée de cet air répugnant.
L'odeur s'était toutefois estompée.

Il était ravi.

L'homme gisait à ses pieds. La pestilence qui enveloppait ses chairs était partie en fumée. Elle était retournée à l'Empyrean.

Ne restait qu'une chaire purifiée, blanche, lisse, sereine. Les yeux clos, le mort aurait pu n'être qu'endormi. Mais une large fente rouge ouvrait sa poitrine, d'où plusieurs filets écarlates rejoignaient la mare qui paisiblement s'étendait sous ses contours creusés.
Une paix infinie se lisait sur son visage. Si les lèvres bleues avaient pu se mouvoir, elles n'auraient eu qu'une parole. "Merci".

D'un coup de talon rageur, Backe enfonça la cage thoracique. Les côtes déjà tranchées cédèrent comme autant de brindilles. Les odieux craquements se changèrent en la plus fantastique des symphonies.

Le visage transfiguré par l'exultation, la douleur d'une euphorie haineuse et pourtant chérie au fond des yeux, il poursuivit sa besogne, ses bottes constellées de sang frais.

Arduilanar regarda d'un oeil sévère l'expression sauvage et joyeuse d'une violence gratuite. Non, vraiment, il ne pouvait pas s'y faire. Backe s'acharnait encore sur le cadavre, le rouant de coups de pieds, brisant ses os, dans la douce exultation d'une gaieté sauvage. Le sang coulait, giclait, rebondissait, arrosant les bottes de cuir usé. L'elfe détourna le regard. Les visions douloureuses de souvenirs éteints refaisaient surface. Deux corps mutilés sur le marbre blanc. Un lac de grenat sur l'immaculée pureté de la pierre de Caledor. Ses lèvres tremblèrent. Deux visages chéris figés dans l'expression d'une douleur immortelle. Ils avaient connu le même destin tragique.

"Backe..."
Tout n'avait été qu'un soupir silencieux, et le reste s'éteignit au fond de sa gorge.

"Pourquoi ?"

Quand son talon avait atteint la solide ossature de la colonne vertébrale, il avait jugé raisonnable de s'en tenir là pour l'instant. Un simple coup d'oeil au visage de sa victime déclencha aussitôt le réflexe. Il écrasa sa semelle au milieu de ce visage malgré tout si paisible. Du moins avant l'impact.

Le mort n'avait plus rien de serein, à présent.
Backe se sentait vidé. Indifférent à tout. La débauche de violence de l'instant passé n'était à peine plus qu'un vague souvenir, une vague sensation le long de la cuisse.

Les battements de cœur de l’infortuné possédé s’envolèrent, le lent remous du sang malade s’apaisant lentement alors que l’entité infernale quittait cette dimension, privée de son enveloppe charnelle. Une foi la mort de la créature certaine, Albericus s’autorisa à respirer de nouveau. L’odeur infecte du Warp s’en était allée, laissant place à l’habituelle brulure de la soif ô combien préférable. Le Mon’Keigh revenait vers eux d’un pas guilleret, son visage encore rouge d’excitation. Alors que le vampire se perdait dans la contemplation du sang s’étirant lentement sous la fine membrane de sa peau, l’odeur du sang putréfié teintant les bottes de l’humain le frappa de plein fouet, coupant court à toute autre considération. Retenant un soupir dégoutté, le vampire contempla le soi-disant Répurgateur d’un air où la moquerie se disputait au mépris.

« Bien qu’essentiellement barbare, je dois avouer que ton style n’est pas dénué d’imagination Mon’Keigh. » Lui lança l’Asur. Son expression se radoucit alors qu’il se souvenait des excès dont il était capable.

Qui suis-je pour juger cet humain ? Ses barbaries lui sont dictées par sa nature, je ne peux en dire autant…

Arduilanar était blême. Son visage avait pâli à la vue de la masse défigurée qui avait été un visage.

"Partons", dit-il d'une voix aussi ferme que possible.

"Et toute cette nourriture que nous laissons-là ?, lança-t-il un brin indigné, le bras tendu vers les alléchantes rangées de caisses et de conteneurs qui quadrillaient le vaste espace des entrepôts.

Il ne se souvenait pas de son dernier repas. La faim était sans doute sa plus vieille amie et, en cette qualité, ne l'avait pas quitté d'une semelle durant, à peu de choses près, toute sa vie.
La dernière fois où son ventre avait été réellement bienheureux lui semblait être celle où lui-même remplissait le ventre de la femme qui lui avait donné le jour.
Il ne lui apparut pas étrange de ne pas se souvenir de son nom. L'avait-il seulement connu un jour ? Rien n'était moins sur.

Il y avait beaucoup plus important. Il avait très faim ; il s'en était simplement rendu compte.

Et cet elfe qui ne mangeait jamais et n'en s'en plaignait pas ne lui inspirait qu'une chose.

"Je ne sais pas si je vous l'ai déjà dit, mais vous êtes un excentrique. "

Arduilanar jeta un regard exaspéré vers son compagnon de voyage, comme il l'avait fait à chaque fois que la sempiternelle question revenait à la charge - il ne comptait plus depuis longtemps, s'étant perdu une fois passée le millier.

"N'est-il pas un peu tôt pour commencer ce petit jeu ? Backe, il est à peine neuf heures du matin. J'ose te rappeler que nous avons été réveillés dès l'aube par un incendie, avons dû, à peine levés, affronter une horde de coupe-jarrets qui en voulaient à nos vies, et un guerrier chaotique venu ici on ne sait comment. Et à peine en avons-nous fini avec ceux-ci que nous sommes tombés sur des gobelins, puis sur ce répugnant pestiféré. Et nous n'avons toujours rien mangé. Tu auras donc la grâce d'attendre que nos estomacs soient remplis avant de lancer une nouvelle polémique."

Décontenancé, il leva un doigt hésitant.
"Mais... Mais oui, exactement. Mangeons. Ne soyez pas surpris que je sois surpris, d'habitude, je suis le seul à jamais avoir faim."

"Seulement... Eloignons-nous d'ici pour cela. Je ne sais pas si vous l'avez tous remarqué, mais ça empeste le cadavre, ici, et chacun de nos pas fait résonner le craquement d'os de gobelins."

"Je me souviens avoir vu une forêt, quelque part par là, en arrivant. Il y aura forcément quelque chose à manger."

Arduilanar soupira, l'air abattu par l'effort que lui imposait le Mon'Keigh.

"Tu viens de demander - il y a cinq minutes - que nous ne laissions pas la nourriture dans les entrepôts. Et même si l'idée de manger ce que les Mon'Keighs stockent dans des conditions de salubrité sans doute proches de celles des marais de Skarogne ne me réjouit guère, je préfère encore cette solution à celle qui consiste à aller gamabader en forêt chercher des fruits. Tu t'imagines sans doute que les elfes n'ont que ça à faire pour se nourrir, gamabader joyeusement dans les vergers ?"

L'elfe lança un regard assassin à l'insolent humain, bien capable de répondre oui.

"Qu'est-ce que vous avez contre les fruits, les forêts et les vergers ? C'est vous qui vouliez sortir ! Je le sais, vous me l'avez dit."

Est-ce possible de changer à tel point d'avis si rapidement ?

"Très bien... Je vais aller voir par là", proposa-t-il, le regard lourd de soupçons.

Sans doute guidé par l'odorat, il se dirigea vivement et d'un pas affamé vers un grand empilement de diverses cargaisons, en réalité remplies d'épices.

L'elfe jeta un regard amusé amusé vers l'humain qui reniflait avec suspicion une caisse remplie de poudre rouge.

"Ce sont des épices. Je ne sais pas si ceci est déjà arrivé jusqu'au fond de votre cambrousse, mais ça ne se mange pas, du moins pas tout seul. Si je ne me trompe pas, ceci est d'ailleurs du piment de Cathay. Il est fort couteux, et assez... relevé. Ne m'en veux pas si tu te mets à éternuer. S'il n'y a rien d'autre ici, tâchons plutôt de trouver une auberge, avant que l'odeur de viande morte ne me coupe définitivement l'appétit."

Coûteux, cette horrible chose rouge ? Vraiment coûteux ? Les Mon'Keighs pouvaient revenir... Non, il ne fallait pas laisser ça ici.

Avec tout le mal que l'on pouvait avoir, il retroussa le cuir de l'une de ses manches évasées et plongea son bras nu aussi profond que possible dans la poudre épicée.
Son poing s'en extirpa généreusement rempli et ce fût au tour de sa poche de faire connaissance avec le piment de Cathay.

Il répéta l'opération trois ou quatre fois, jusqu'à ce que sa poche déborde complètement et que la fine poudre imprègne le moindre recoin de l'avant de son manteau jusqu'à l'étoffe rêche de la vénérable tunique blanche qui depuis près d'une décennie protégeait l'épiderme de sa poitrine de l'âpreté du cuir défraichi.

Il se dirigea vers la sortie, à la suite des deux elfes, précédé d'une légère brume sanguine et irritante, les larmes aux yeux et l'oeil satisfait.
L'éternuement qu'il retenait jusque là jaillit brutalement de ses narines et l'emporta à sa suite.

Le violent spasme l'aurait étalé au sol si un dos elfe ne le lui avait gracieusement évité.

Arduilanar regarda avec amusement l'humain se rattraper de justesse sur le dos d'Ilithas. L'elfe n'avait pas l'air d'apprécier ce soudain contact, et ses pupilles scintillaient d'un éclat carmin dans l'obscurité qu'apportaient les lourds nuages. Ceux-ci avaient envahi le ciel au moment où le soleil se levait, protégeant le vampire des rayons mortels.

Combien doit être dure la vie d'Ilithas ! Condamné à fuir le soleil, à fuir ceux qu'il a aimés, et à cacher sa monstruosité... Il me semble qu'il a de plus en plus de mal à se contenir. Peut-être devrais-je lui parler, mais je ne sais trop comment il accueillerait mes paroles.
L'elfe jeta un regard gêné vers son compagnon, n'osant intervenir. Aussi préféra-t'il s'adresser à Backe, qui se redressait dans un nuage rougeâtre.

"Ah oui, Backe, j'avais oublié de préciser... Le piment brûle horriblement la langue, le nez et les yeux. Sans doute n'est-ce pas très prudent de te promener avec tout ça dans ta poche. Fais ce que tu veux, j'imagine que même un Mon'Keigh peut être responsable de ses actes, mais j'aimerais éviter de subir les désagréments liés au transport de cette épice. Est-ce clair ? Et encore, je n'ai pas employé le terme de vol, je sais depuis longtemps qu'il n'a pas de sens pour toi..."

Ilithas vacilla légèrement, compensant aisément le choc qui aurait jeté un homme ordinaire au sol. De justesse, faut il préciser, puisqu'il faillit basculer au travers d'une lourde étoffe, suspendue de façon à isoler une pièce aux regards. Et derrière ce lourd rideau, un stock prodigieux de gousses d'ails, suspendues au plafond par centaines. Le mouvement de recul involontaire qu'eut le vampire lorsque l'odeur voilée par la tenture le frappa, le fit heurter le Répurgateur auto-proclamé avec bien plus de force qu'il ne l'aurait désiré, les faisant chuter tout les deux au sol dans un fouillis bien peu élégant de membres et soulevant par la même occasion un nouveau nuage ocre.
Pestant et jurant contre tout les esprits de la création, l'Asur se releva tant bien que mal de sous Backe, le relevant par la même occasion d'une main distraite, hésitant visiblement entre le jeter à la mer, ou le reposer sur ses pieds. Optant pour une solution intermédiaire, il le laissa retomber au milieu de l'épice répandue à leurs pieds.

"Nous n'avons plus rien à faire ici." siffla t'il en s'époussetant, un regard meurtrier toujours braqué sur l'humain. "Quelle est notre prochaine étape ?" Demanda t'il à Arduilanar,"Ces Mon'Keigh sauront bien frayer avec la vermine peau-verte, et nous avons nos propres démons. La décision vous reviens mon frère."


[HS] Bon, comme vous vous en doutez, je ne sais pas si j'aurais l'occasion de poster souvent aussi je remet mon personnage entre vos mains, j'en reprendrais ainsi le contrôle lorsque je passerais dans le coin...Si vous tenez à le faire mourir (de façon héroïque !) allez y, mais enterrez le ! Sur ce, à bientôt...[HS-OFF]