Les Flammes de la Guerre
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Les Flammes de la Guerre

C'est une époque sombre et sanglante, une époque de démons et de sorcellerie, une époque de batailles et de mort. C'est la Fin des Temps.
 
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 Plouf

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Setep Antarkhan
Lybarien en exil
Setep Antarkhan


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MessageSujet: Plouf   Plouf Icon_minitime31/7/2009, 19:28

- I -

« Pierre-Eudes ! Pierre-Eudes, réveille-toi ! »
J’ouvre les yeux en grognant. Ma mère m’adresse un grand sourire.
« On est arrivé, descends de la voiture et viens voir notre nouvelle maison. Allez, dépêche-toi, vite ! » enchérit-elle sur un ton qu’elle veut joyeux. Je renifle de mépris. Quelle hypocrite elle fait !! Comment pourrait-elle être joyeuse alors que j’ai tiré la gueule pendant tout le trajet ? Elle sait, comme mon père, que je déteste les déménagements. Et celui-ci est déjà notre cinquième. Alors qu’elle ne s’attende pas à ce que je pousse des grands cris d’émerveillement devant la nouvelle maison de bourges dans laquelle mon père a claqué une bonne partie de son énorme paquet de fric.
Mes parents sont riches. Ils sont tous les deux issus de familles très respectables (une bande de connards, quoi), dirigeantes d’entreprise importantes, et très… vieux jeu. Y a qu’à voir le nom pourri que je me tape pour comprendre le délire. En plus, leur nouveau passe-temps, qui dure depuis ma naissance, c’est de déménager tous les trois ans. Le pays Basque, les Hautes-Alpes, la Côte-d’Azur, le Massif Central… Et maintenant le Finistère. Je hais les déménagements. Je hais les riches. Je hais mes parents.

Notre nouvelle maison, c’est presque un château. Vous savez, ces châteaux Renaissance tout blancs et bourrés de fenêtres… Mais ça m’impressionne pas vraiment, je commence à avoir l’habitude. Cette maison, donc, est située sur un promontoire rocheux assez large, en haut d’une falaise d’une dizaine de mètres qui donne directement sur la mer, à l’entrée d’une baie bordée de plages. On peut voir le château à des kilomètres à la ronde. Une vraie baraque de star. J’aime pas les stars.
Si on se met sur la terrasse entre le château et la mer, on a une splendide vue sur toute la baie, s’était enchantée ma mère. Génial. A droite, une longue plage à touristes, avec une petite ville au bout. Sans doute bourrée de campings et d’hôtels. Je sens que je vais pas non plus les aimer, les touristes. A gauche, une petite plage privée, qui fait partie de notre nouvelle propriété. Derrière elle, une grande étendue d’herbe impeccablement coupée. Sûrement un golf. Mon père va être content. Et puis devant, il y a l’océan. Au bas de la falaise, les vagues s’écrasent avec fracas sur la roche, dans un tourbillon d’écume. Mes parents trouvent que c’est beau. Mouais. Moi je pense surtout que ce vacarme va m’empêcher de dormir.

A l’intérieur de la maison, mes parents se sont déjà mis au travail. C’est-à-dire qu’ils ont retrouvé leur insupportable petit air suffisant, et qu’ils donnent des ordres aux déménageurs. Ceux-là, j’ai l’impression qu’ils font encore plus la gueule que moi, tout en déchargeant les cartons de vêtements, les meubles anciens qui valent une fortune, et, cerise sur le gâteau, le piano à queue de ma mère, qu’elle veut absolument au deuxième étage. Un des deux gorilles qui portent le lourd instrument me jette un petit regard méchant, parce que j’encombre l’escalier. Eh ben, gros con, si t’es pas content, fallait pas faire ce métier !!
Au premier étage, je découvre ma nouvelle chambre. Des murs immaculés, un grand lit, une porte-fenêtre donnant sur un balcon,… Et une pile de cartons. J’en ouvre un : parfait, c’est ce que je cherchais. Je sors mon imposante chaîne hi-fi avec ses deux enceintes, je la branche. Et j’appuie sur le bouton. Aussitôt, une guitare commence une intro avec tellement de distorsion qu’on se demande si les enceintes sont en bon état. Puis la double pédale prend le relais avec son roulement caractéristique. Et un bruit assourdissant remplit la pièce tandis que je commence à déballer mon ordinateur. Je déteste cette musique. Si le trash-metal peut vraiment être appelé de la musique. Mais ça a deux avantages. D’abord, ça m’empêche d’entendre mes parents, moins je les remarque, mieux je me porte. Et ensuite, ça fait beaucoup de bruit insupportable. Donc ça fait chier le monde. Et ça, j’adore. Parce que le monde me fait chier, et que je suis très rancunier.


- II -

Je suis né il y a seize ans et 156 jours. J’ai compté. Le temps passe très lentement quand on a une vie de merde. Dès ma naissance, les médecins ont vu que je n’étais pas normal. Quand ils ont annoncé ça à mes parents, ils ont été tristes, honteux, énervés, désespérés, peut-être tout ça à la fois. Ils se considéraient comme des gens très convenables, et l’anormalité leur semblait tout à fait inconvenable. « Syndrome de Down, leur a annoncé un mec en blouse blanche. Trisomie 21. »
Mon père, depuis seize ans et 156 jours, ne s’est toujours pas remis. Il pensait avoir un fils viril et brillant, qui pourrait reprendre les rênes de sa firme à sa retraite. La désillusion avait été violente. Je crois qu’il a plongé dans la dépression pendant plusieurs semaines. Aujourd’hui, il me voit encore comme une erreur irréparable qu’il aurait commise. Pour ma mère, c’était différent. Après l’accouchement, on lui a annoncé qu’à cause des complications qui avaient eu lieu, elle ne pourrait plus avoir d’enfant. Déjà qu’ils avaient dû attendre une dizaine d’années après leur mariage pour réussir à enfanter un trisomique… Mais elle a décidé d’être heureuse, et d’aimer son fils. Elle m’a affublé de ce nom ridicule, et elle a toujours tout fait pour que je me sente bien. D’ailleurs, ça fait seize ans et 156 jours que c’est toujours un échec constant. Quand je la vois qui me regarde avec son sourire attentionné, j’ai toujours l’impression que je lui fais vraiment pitié. Et je peux toujours pas la sacquer.

Il y a cinq ans et 322 jours, ma mère m’avait emmené chez un psychologue, pour « m’aider à me sentir mieux dans ma peau ». La bonne blague. Si elle avait voulu comprendre pourquoi je faisait tout le temps la gueule, elle avait qu’à venir à l’école. Déjà que « Pierre-Eudes », c’est vraiment un nom de merde, il a fallu que les connards de l’école m’en trouvent des nouveaux. Triso, sale mongol, Face de Cul (avec des majuscules, s’il vous plaît). Ou bien juste le Teubé. Je sais pas si ma mère s’est un jour doutée du nombre d’abrutis qu’il peut y avoir dans une école primaire, même privée, et « très convenable ».
Au bout de ma première année de collège, mes parents ont commencé à s’inquiéter. Surtout ma mère, en fait. Mon père, je crois qu’il s’en tapait complètement. Au début de la deuxième année, je me suis battu avec une bande d’enfoirés qui m’avaient insultés. Je suis rentré à la maison en ambulance, mais j’avais réussi à péter le nez à leur meneur. Par contre, ma mère a vraiment pas été contente. Elle est allée gueuler chez le principal du collège, et au final, j’ai quitté l’établissement, puis pris des cours par correspondance. J’ai arrêté depuis trois ans. Pendant presque deux ans, j’ai passé mes journées sur mon ordinateur, à jouer à des dizaines de ridicules jeux en ligne. On s’occupe comme on peut. Un jour, je me faisais tellement chier que j’ai essayé d’écrire mes mémoires. J’ai arrêté au bout de trois jours. Ma vie est tellement inintéressante qu’en cinq pages, j’aurais pu l’écrire dans le détail.


- III -

Première nuit dans cette baraque. Etrangement, le bruit du ressac ne m’a pas empêché de dormir. Le sommeil est venu silencieusement, et m’a pris en traître. J’ai pas rêvé, je crois. De toutes façons, les rêves, surtout les miens, ne sont pas tellement plus intéressants que la réalité. Le soleil entrant à flots par la porte-fenêtre me réveille. Et merde, j’ai oublié de fermer les rideaux. Je regarde le petit réveil digital posé sur le carton qui me sert actuellement de table de nuit. 8 : 14. D’habitude, je me lève pas aussi tôt. Je traîne le plus possible, je sors de mon lit peu avant onze heures, je déboule dans la cuisine, bouffe un rapide petit-déjeuner le plus salement possible, et remonte directement dans ma chambre.
Mes parents ont « travaillé » très tard hier. Si j’étais d’humeur, je plaindrais presque les déménageurs qui ont dû se plier à tous leurs caprices pour placer tel meuble à telle place, sauf que je ne suis jamais d’humeur à plaindre qui que ce soit. Que tout le monde aille se faire foutre. La plupart des pièces du premier étage sont maintenant meublées. Ma mère a visiblement dû renoncer à faire installer le piano au deuxième étage. Il trône fièrement au milieu d’une pièce du premier, à l’opposé de ma chambre. Dommage. Je crois que ça m’aurait amusé de pourrir toutes ses répétitions avec du trash à fond dans la pièce à côté. Le deuxième étage sera probablement réservé aux domestiques que mes parents ne manqueront pas d’engager. L’inconvénient avec les déménagements de riches, c’est qu’il faut se retrouver tout un panel de nouveaux larbins. Pour ceux-là, je pense que c’est plutôt une aubaine de quitter le service d’employeurs comme mes parents.

Au rez-de-chaussée, toutes les salles sont décorées avec des vieux tableaux, des vieux vases, et des vieux bibelots en tous genres. Tous très moches, de mon point de vue. J’entre dans la cuisine, la seule pièce qui n’a pas l’air de dater d’il y a trois siècles. Ici, pas de vieux trucs moches, mais des équipements high-tech, dignes d’une publicité. Evidemment, la moitié ne sert à rien. Je sors un litre de lait, je m’en verse un bol, que j’enfourne dans le micro-ondes. Une autre porte-fenêtre donne directement sur l’extérieur, et la fameuse terrasse en bord de falaise. Sur la table, à l’extérieur, mes parents ont laissé un plateau avec des confitures, du pain grillé, et des croissants. Le bip du micro-ondes me signale que mon lait est chaud. J’insulte la machine, sors mon bol, et vais le poser sur la terrasse. Je m’assieds. Nous sommes à la fin du printemps, l’air est doux, l’odeur de la mer remonte depuis les vagues qui martèlent la roche dix mètres plus bas. Le bruit des assauts marins contre la falaise inflexible résonne dans le sol, et dans ma tête. J’avale une dernière gorgée de lait, et vais me placer debout au bord de la terrasse.
Je regarde en bas. C’est vrai que c’est beau. La mer arrive à toute vitesse, frappe la roche de toutes ses forces, puis reflue, vaincue, dans une gerbe d’écume blanche, avant de repartir à l’attaque, croyant prendre la falaise par surprise. Et de reculer à nouveau, avant une contre-attaque plus violente encore. Je me couche à plat ventre sur le bord de la terrasse, la tête posée sur mes bras croisés, et je continue à regarder les assauts infructueux des déferlantes bleu-vert. Patience, tu finiras bien par l’avoir, cette grosse caillasse. Dans très longtemps, il en restera plus rien. Et la plage arrivera jusqu’à Paris. Avec ces conneries de réchauffement climatique et la fonte des glaces, le niveau des mers va peut-être monter à une vitesse suffisante pour noyer une partie des blaireaux habitant ce pays médiocre qu’ils appellent France.

« Pierre-Eudes !! Pierre-Eudes, où es-tu ? »
La voix de ma mère me rappelle à la réalité. Je regarde ma montre. 10 : 32. Donc, ça veut dire que je suis en train de regarder la mer à plat ventre depuis plus de deux heures. J’ai vraiment pas vu le temps passer. C’est la première fois qu’une telle chose m’arrive. Je me lève, fais quelques pas. Un vertige me saisit. J’aurais pas dû me lever aussi brusquement.
« J’suis là, Maman, » dis-je d’une voix tout sauf agréable. Ma mère déboule sur la terrasse depuis la cuisine.
« Ah !! Je te cherchais !! » Je ne m’en serais pas douté, connasse. « Ton père et moi nous allons faire un tour au village, puis nous reviendrons sans doute chercher nos clubs de golf. Le terrain a l’air magnifique ! » C’est ça, dégage. Je me sentirai beaucoup mieux quand tu seras partie. « J’espère que ça ne te dérange pas de rester tout seul ? » Oh, non, ça risque pas. « Pierre-Eudes ?
_ Non, non, Maman. Vas-y, je t’en prie. C’est pas la peine de tout le temps rester avec moi. » Lâche-moi les basques, vieille folle.
« D’accord. A tout à l’heure, mon chéri !! » Elle dépose un baiser sonore sur ma joue. Je la laisse faire, autant qu’elle continue de croire que je suis son gentil petit garçon. Elle s’en va. Je suis à nouveau seul. Tranquille. Mais je crois que je ne vais pas rester sur la terrasse. Maintenant, j’ai une plage privée, rien que pour moi.
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Txelq
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MessageSujet: Re: Plouf   Plouf Icon_minitime31/7/2009, 20:31

Pierre-Eudes?? Plouf 48055
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Setep Antarkhan
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MessageSujet: Re: Plouf   Plouf Icon_minitime31/7/2009, 21:58

- IV -

Des bruits de voix. Un éclat de rire. Je me réveille, ouvre les yeux. J’ai dû m’endormir peu après être venu m’allonger sur la plage. Ici, à moins de vingt mètres du bord de la falaise, la mer n’est plus la même. Les vagues viennent lentement s’échouer sur le sable, dans un bruissement doux et agréable. Je crois que ce son m’a bercé jusqu’à ce que je m’endorme, sans même m’en rendre compte, allongé sur le dos, les bras écartés. Je regarde le soleil, qui a continué sa course à travers le ciel. L’après-midi est bien avancé, ma sieste à été longue, apparemment. J’espère que ma mère s’est inquiétée.
De nouveau ces bruits. Un gloussement aigu, des voix qui se rapprochent. Des pas dans le sable. Je me retourne sur le ventre et regarde dans la direction de tout ce tapage. Et je les vois, ces parasites. Une bande de jeunes, sans doute un peu plus âgés que moi. Trois garçons, et quatre filles. Ou plutôt trois abrutis frimeurs et quatre allumeuses complètement cruches. Et encore, le mot est faible. Ils sont en train d’enjamber la clôture qui fait le tour de la plage, ornée d’une magnifique pancarte rouge « Propriété privée, défense d’entrer ». Bande de squatteurs de mes deux. Ils sont des intrus sur cette plage. Ma plage. En plus, ils m’ont réveillé. Ils n’ont pas le droit de gâcher ce moment. Moi, la mer, seulement nous deux. Pas eux.
Ah, je crois qu’un de ces connards m’a vu. Il fait un signe de tête dans ma direction, et tous ses amis me regardent avec des yeux ronds. Depuis le collège, j’avais oublié ce que ça fait d’être pris pour un animal. Je leur rends leur regard, chargé de tout mon mépris et ma haine pour les gens de leur sorte. Apparemment, c’est pas suffisant, puisque ils s’approchent de moi, avec l’intention apparente de me parler. Eh merde, je déteste parler avec les gens. En fait, je déteste les gens.

« Salut !! Toi aussi, tu squattes la plage ? » Celui qui vient de parler est un grand bronzé, avec des lunettes de soleil posées sur ses cheveux bruns, et un short de bain hawaïen. En fait, il représente une bonne partie de ce que je déteste chez les tombeurs de filles dans son genre. Alors je prends mon plus beau sourire, et je réponds d’une voix presque trop polie pour être naturelle.
« Non, là c’est vous qui squattez. Moi, là, je me lève pour aller prévenir mon père, et qu’il vous lâche ses dobermans au cul. » Mon père n’a pas de doberman, mais en général, les frimeurs torse nu et en short, ça aime pas trop les morsures de chien. Je me délecte de l’inquiétude qui se lit sur leur visage alors que je me remets debout. Mais une des filles a plutôt l’air incrédule. Presque insolente. Un mélange sournois de moquerie et de pitié. Je crois bien que je vais vomir.
« Euh…, tu blagues, là, j’espère ?
_ J’ai l’air de blaguer, grand con ? » J’ai abandonné la politesse, c’est finalement pas très marrant, et je reprends mon expression pleine de morgue. J’ai l’impression que ça ne lui plaît pas trop, parce qu’il s’avance et me chope par le devant du tee-shirt.
« Ecoute-moi, sale mongol, ferme un peu ta gueule, ou je…
_ Tiens ! Encore un putain de facho qui peut pas blairer les handicapés…
_ Kevin ! Lâche-le !! » C’est la fille qui a parlé. La fille bizarre. Elle l’ appelé Kevin… Il a vraiment le nom assorti à la panoplie…
« Il m’a insulté, ce triso !!
_ Et alors ! Toi aussi, tu l’as insulté !! C’est un type minable, si tu le frappes tu joues son jeu ! Allez, venez, on se casse.
_ Ferme-la un peu, Caro !! » C’est un autre des garçons qui a pris la parole. Il a l’air du même style que son pote, mais en plus grand, et en plus con. « Moi non plus j’aime pas trop qu’on se foute de ma gueule, et c’est exactement ce que ce minus vient de faire.
_ Caro a raison, les mecs. Moi je me casse. » C’est le dernier des trois qui a parlé. Apparemment, les trois autres filles ont l’air de savoir uniquement gémir et glousser, ainsi que suivre leurs princes charmants à la trace. C’est ce qu’elle font depuis tout à l’heure. Et elle changent pas de tactique, elles se dirigent vers la clôture avec celui qui vient de parler. La dénommée Caro, elle, reste plantée devant nous à engueuler Kevin, qui lui, avec son ami, a l’air bien décidé à me péter le nez. Mais le destin, ou juste la malchance, semble en décider autrement.
« Pierre-Eudes ? Pierre-Eudes, tu es là ? » Eh merde. Ma mère. « Pierre-Eudes, qu’est-ce que… Mais qui… Sortez de ma propriété, bande de voyous !! Déguerpissez, allez-vous en, ou je porte plainte !! Partez tout de suite !! » Ma mère déboule sur le sentier qui descend du château à la plage. Elle a l’air énervée. Les deux abrutis me lâchent, et courent vers la clôture. Ah, vous pouvez bien frimer, bande de cons, quand il s’agit de se casser en courant, vous serez jamais les derniers. Caroline, elle, s’éloigne lentement, enjambe la clôture, me jette un dernier regard. Elle aussi, elle a l’air énervée. Elle bouscule Kevin, et rejoint ses amies plus loin sur le chemin. Le grand con, lui, se retourne vers moi, et sourit d’un air vicieux. Je le vois articuler « Pierre-Eudes », avant de se barrer. Je crache par terre. Connard.

Ma mère s’avance vers moi, l’air affolé.
« Ils ne t’ont rien fait, j’espère ?
_ Mais non.
_ Nous t’avons attendu pour le déjeuner, nous pensions que tu faisais la sieste… Mais il est déjà seize heures moins le quart ! Je me suis inquiétée, tu sais… »
Je ne réponds rien. Tant pis pour toi, ma vieille, qu’est-ce que tu veux que je te dise… Je retourne m’asseoir au bord des vagues. Elle hausse les épaules, fait demi-tour, et remonte le sentier. Je suis seul. Parfait.
Je crois que j’aime. Et ça ne m’est pas arrivé depuis longtemps. Je crois bien que ça ne m’est jamais arrivé. J’ai toujours détesté le monde entier, depuis que je sais ce que veut dire le mot « détester ». Je suis né handicapé, et rien que pour ça, ça vaut la peine de haïr ce monde. Mais aujourd’hui, je suis tombé amoureux. L’océan m’a envoûté. J’avais déjà vu la mer, mais la Mer Méditerranée est plate, morne, sans aucun intérêt. Tandis que l’océan… Tantôt fougueux, tantôt calme, si changeant, et… si beau. Je m’allonge sur le dos. Je crois que je vais dormir sur cette plage, ce soir.


- V -

Le dîner s’est passé rapidement, et sans rien de notable. Mes parents sont beaucoup trop ennuyeux pour ça. Dès la dernière bouchée enfournée, je me lève, sors de table sans même écouter les paroles de ma mère, et monte directement… dans la chambre de mes parents. La commode de mon père est contre le mur du fond. J’ouvre un tiroir, enlève son contenu… C’est bien ici. Je retire le double-fond, rafle ce qu’il dissimulait. Je ne serai sûrement pas seul sur la plage, ce soir.
20 : 47. L’affichage rouge de mon réveil dispense une faible lumière dans ma chambre aux rideaux fermés. Allongé sur mon lit, je compte les minutes. A neuf heures, mes parents penseront sans doute que je dors. Je jette un nouveau coup d’œil à mon réveil. 20 : 52. Le temps s’écoule avec une lenteur insupportable. J’essaye de penser à mes retrouvailles imminentes avec l’amour de ma vie. L’océan m’attend. 20 : 56. Je ne peux plus rester allongé, je ne tiens plus en place. Tant pis, je me lève, empoigne l’objet que j’ai volé à mon père. Je me glisse dans le couloir. Je descends silencieusement l’escalier. La porte du petit salon est ouverte de l’autre côté de l’entrée. J’entends la voix de mes parents, apparemment engagés dans une conversation animée. Sans doute une engueulade à propos d’un sujet capital, comme le choix du menu du lendemain, ou l’achat d’un nouveau club de golf. Je traverse l’entrée à pas de loups, me glisse dans la cuisine, et sors sur la terrasse. La voie est libre. Je cours vers le sentier qui descend à la plage, mon butin à la main. Je m’arrête à mi-chemin. Apparemment, j’ai vu juste. En bas, au bord de la mer, une bande de jeunes allongés sur le sable, qui discutent bruyamment. Les squatteurs sont revenus. Ils s’imaginent sans doute qu’il vont passer une bonne soirée, ces cons-là. Mais non, je suis là pour leur pourrir la vie.

« Salut, les mecs, ça faisait longtemps ! » Mon cri fait se retourner Kevin. Tiens, il a toujours l’air aussi crétin, lui. Son pote, la grosse brute, se lève d’un coup.
« Eh, regardez, le mongol est de retour !!
_ Ta gueule, Jérémie !!
_ On t’a rien demandé, Caro, tu nous fait chier !! » l’insulte Kevin, en se levant lui aussi. Pendant ce temps, je suis descendu lentement sur la plage. En posant le pied sur le sable, je lève mon poing droit, qui serre un objet de métal froid.
« Et si vous dégagiez de ma plage, bande de loosers ?
_ Putain, ce dingue a une arme !!
_ Lâche ce flingue, espèce de malade !! » Les deux rouleurs de mécanique ont plus vraiment l’air fier, d’un coup. Ah, je vous ai pas dit, mon père est exactement le genre de type qui garde un revolver dans sa table de nuit. On sait jamais, ça peut toujours servir, qu’il vous dirait. Je crois bien qu’il avait raison, finalement, ce con. Pendant ce temps, les sept parasites se sont levés, et ils ont vraiment l’air de flipper. Le troisième gars s’avance lentement, il tend une main tremblante vers moi.
« Euh… Lâche ce flingue, s’te plaît, on a rien fait de mal, t’es complètement…
_ Bon, tu m’as l’air le moins con des trois, alors pt’être bien que toi tu sais que tu ferais mieux de dégager vite fait. » Les trois filles derrière lui ont l’air de trouver que j’ai raison, tout en ayant profondément envie de me cracher à la gueule. Un mélange assez intéressant. Et puis il y a encore cette Caro, qui s’avance à côté de son pote, alors que les deux brutes ont plutôt tendance à reculer en tremblant pas mal.
« Décidément, t’es vraiment encore plus dérangé que j’aurais cru.
_ Toi, la coconne, tu recules.
_ Tu nous méprises, mais est-ce que tu crois que tu vaux vraiment mieux que nous ? Tu dois être vachement frustré dans ta vie, pas vrai ? Handicapé, gosse de riches, tout chétif et repoussant… Alors tu te venges en pourrissant la vie de tout le monde… Tu joues au dur parce que c’est plus facile que d’accepter les choses comme elles sont. Je me trompe ?
_ Ta gueule, dégage de ma plage. » Ma voix a tremblé un instant, mais je ne vais pas me laisser faire par une pouffe prétentieuse.
« Mmh, ça te fait du bien de pouvoir donner des ordres aux autres, hein ? C’est la première fois que tu te sens fort parce que t’as une arme ? A tous les coups, elle est même pas chargée. » Putain, elle a raison, en plus. J’ai oublié de vérifier. Je dois être en train de devenir vert, parce qu’un de ses sourires à la con se dessine sur son visage. « Tu fais vraiment pitié. T’es juste méprisable. Tu t’es jamais demandé si ça pouvait être mieux d’aimer les gens, au lieu d’être systématiquement un connard en série ? Tu t’es jamais demandé si ça pouvait te faire plaisir, de faire plaisir ? Finalement, t’es juste un frustré de la vie, qui veut se venger sur tout le monde d’une mauvaise blague que lui ont faite ses parents. Je crois bien que je te hais. Moi je dégage. On se trouvera un autre coin pour passer la soirée tranquillement. Allez, venez, les filles. »
Elle tourne le dos, elle se casse. Ses copines la suivent en se retournant tous les trois mètres. Kevin et son pote se sont déjà barrés depuis longtemps, alors que cette connasse me gueulait dessus. Le dernier garçon me regarde d’un air de pitié, puis il se retourne et repart vers la clôture. Mais il se retourne au dernier moment. Il me fait un petit sourire.
« Finalement, elle était chargée, ou pas ? » Je pointe le canon par terre et appuie sur la détente. Clic. Dommage. Il hausse les épaules, enjambe la barrière, et rejoint les autres en courant. Je me laisse tomber sur le cul, face à la mer.
Pendant un bon quart d’heure, je regarde juste les vagues s’échouer lentement sur le sable. Le bruit de l’océan m’apaise. Je respire lentement. Et puis je repense à ce que m’a dit cette Caro. Le pire, c’est que je crois bien qu’elle avait raison. Qu’est-ce que ça pourrait bien me coûter d’aimer les gens, à part mon orgueil ? Mais serait-il possible que je change ? Est-ce que je n’ai pas vécu trop longtemps en détestant les gens ? Est-ce que je serais capable d’éprouver autre chose que de la haine ou du mépris ? Oui, je le sais. J’aime la mer. La mer m’aime sans doute elle aussi. Qu’est-ce que je dois faire ? Dois-je essayer de changer ? Dois-je retourner dans ma vie habituelle, et essayer d’oublier ce soir ? Non, je n’y arriverai pas. Et est-ce que je dois aimer les gens, aimer le monde, transformer ma vie du jour au lendemain ? C’est impossible, je ne réussirai jamais. Je crois bien que je vais devenir fou. Je bouillonne de l’intérieur, j’ai l’impression de fumer par les oreilles et les narines. J’aime la mer, mais est-ce qu’elle est un baume suffisant pour soigner les blessures de mon âme ? Je me lève, remonte lentement le sentier vers le château. Je ne sais plus ce que je fais, ce que je pense. J’essaye désespérément de trouver une solution. J’arrive au sommet du chemin, je débouche sur la terrasse. Je me dirige lentement vers une porte. Mais… merde, j’ai oublié le flingue de mon père en bas. Je fais volte-face pour retourner le chercher, et je me retrouve au bord de la terrasse, face à la mer.
Evidemment, ça y est, voilà la solution. Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ? Une solution simple, sans douleur, sans dilemme.
Sans retour.
Deux pas en avant. Je suis vraiment au bord, cette fois. Mes orteils nus sont recroquevillés sur le bord de la falaise. En bas, l’eau semble prête à m’accueillir. Elle me tend les bras, des bras de vague et d’écume. Elle m’attend. Et moi je l’aime. Un sourire se dessine sur mon visage. Un sourire de joie, d’amour, d’espoir, de délivrance. Je t’aime, océan.
Un pas.
Je tombe. Lentement. Si lentement que c’en est insupportable. Une gerbe d’écume éclabousse mon visage, détendu pour la première fois. Océan, je t’aime.

Plouf.
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